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10 novembre 2010 3 10 /11 /novembre /2010 00:54

 

Le Neveu

 

Folio 120 pages

1ere publication 1982.

 

      Ce roman est autobiographique, car l’auteur s’y met lui-même en scène pour nous emmener d’abord dans une clinique où il se remet d’une opération du poumon, au Baumgartnerhöhe dans les environs de Vienne. Son ami Paul Wittgenstein est lui aussi hospitalisé dans l’établissement de soin adjacent le Steinhof, qui est un hôpital psychiatrique.    

 

Le narrateur hésite à aller rencontrer Paul que pourtant il chérit, vu les circonstances difficiles qui pourrait rendre cette entrevue pénible.

 En fait, ils se verront deux fois, et peu de temps avant d’être "libérés" tous les deux.

Ce début en univers concentrationnaire est fort sombre, mais pour la suite du récit, l’auteur nous transporte dans les cafés qu’il fréquenta avec Paul, et dans des lieux extrêmement divers.

 

Si le récit est d’abord pathétique, quoique relaté froidement, la suite comporte quelques passages humoristiques lorsque l’auteur évoque les cérémonies ratées à l’occasion de deux de ses prix littéraires ; il nous fait rire aussi en brossant au vitriol quelques portraits de convives dans les cafés de Vienne, et  d’autres personnes, tels ce couple de musicologues subitement atteints du syndrome du « retour à la nature » qui abandonne tout rapport à la musique et à l’intellect pour se transformer en agriculteurs.

 

Le titre fait évidemment songer au Neveu de Rameau. Il ne s’agit pourtant pas ici d’un dialogue entre le philosophe et le « fou » à propos de quelques sujets d’importance. L’auteur et Paul ont bien plus de points communs.

D’autre part, l’auteur n’est pas plus philosophe que son ami Paul, et ils le sont un peu l’un et l’autre.

Le neveu de Rameau n’était fou que dans le sens de la bouffonnerie et de la marginalité. Paul est également fou au sens premier du terme, il souffre de psychose, avec des symptômes graves.

L’auteur partage avec lui l’amour de la musique, la marginalité, certains symptômes délirants, et la critique féroce de la société dans laquelle ils vivent.

 Thomas Bernhard développe un monologue sans chapitre, avec d’importants ressassements, comme à l’ordinaire, dans ses récits, mais ce roman ne fait pas partie de ceux dont la lecture peut-être considérée comme difficile. Malgré l'affirmation de sa personnalité, ( autodestruction et vouloir-vivre) qui occupe l'espace du récit Bernhard réussit à nous faire sentir la présence de Paul et à mettre en scène leur complicité et leurs débats.

 

 

Les Wittgenstein sont une famille d’entrepreneurs et de mécènes. Paul en est plus ou moins la brebis galeuse, mais il a plus d’un point commun avec Ludwig «  Ludwig c’est sa philosophie qui l’ a rendu célèbre, l’autre Paul peut-être plus fou, mais il se peut que nous croyions du Wittgenstein philosophe que c’est lui le philosophe que parce qu’il a couché sur le papier sa philosophie et pas sa folie, et que nous croyions de l’autre Paul, que c’est lui le fou, que parce qu’il a refoulé sa philosophie au lieu de la publier, et n’a exhibé que sa folie. Tous deux étaient des être extraordinaires et des cerveaux tout à fait extraordinaires, l’un a publié son cerveaux l’autre pas ».

 

Bref nous devons considérer les êtres au-delà des rôles qu’ils sont contraints de jouer, sans pouvoir en faire l’impasse, car il n’est possible d’exister qu’à l’aide de ces rôles, non sans s’en défendre…

Ce récit peut se lire en même temps que ses autobiographies ( L'Origine, la Cave, le Froid, le Souffle, publiés de 1978 à 81 juste avant celui-là). Cependant, relire plusieurs oeuvres de Bernhard à la suite ne me convient pas vraiment.

 

J’ai voulu en savoir davantage sur Paul Wittgenstein, et n’ai pas trouvé grand-chose sur Internet ni ailleurs.

Toutefois, j’ai trouvé des propos fort intéressants sur Wittgenstein sur ce site :

 

http://remue.net/revue/TXT0110lecerf.html

 

 

Christine Lecerf , auteur de «  Carnets de bord pour "Wittgenstein, la philosophie incendiée" écrit :

 

« Il est vrai qu’il a fallu attendre Thomas Bernhard et son génie du paradoxe pour restituer à Ludwig Wittgenstein ce qu’il avait toujours fui parce qu’il y était cruellement attaché : une famille, un foyer extraordinaire de contradictions, où se côtoyait le conformisme et l’extravagance, l’attachement à la tradition et le culte de la modernité. J’ai vérifié. Paul, le neveu de Wittgenstein, a vraiment existé, c’était le fils d’un frère de Karl Wittgenstein, le père de Ludwig. Dans cet esprit génial, gagné par la folie faute de pouvoir s’exprimer, Bernhard a cristallisé la tragédie dorée des fils Wittgenstein : étouffer sous sa propre richesse.’

 

Le neveu Paul était donc en fait pour Ludwig un cousin issu germain. Ce qui d’ailleurs n’a pas si grande importance. Lisez tout ce qu’écrit Christine Lecerf, ça en vaut la peine !

 

Thomas Bernhard est l’auteur du mois de novembre choisi par Sibylline sur Lecture-écriture

 

 

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31 octobre 2010 7 31 /10 /octobre /2010 21:17

                                                

 

Edtions Faber paperback 1972, 258 pages                                                 

Gallimard ( L'Imaginaire) 2007, 271 p

 

 

 

C’est un des livres les plus anciens de ma PAL. Il m’attend depuis 1974, et j’en lisais de temps à autre quelques pages, sans comprendre suffisamment. Ma lecture était toujours longue et laborieuse. Mon anglais n’est pas fameux et la langue américaine m’est encore moins familière.

J’ai fini par acheter  une  traduction à laquelle j’ai eu hélas souvent recours.

C’est donc la seule œuvre de type romanesque de Sylvia Plath, écrite un an avant sa mort en 1962 .

 

Elle s’y met en scène sous le nom d’Esther Greenwood, jeune étudiante de dix-neuf ans, venue à New-York , après avoir gagné un concours organisé par un magazine, pour lequel elle a composé des poésies, histoires, et slogans publicitaires. Elles sont une douzaine de jeunes lauréates qui vont travailler à la rédaction du magazine pendant quelques semaines. Travailler pour tenter d’être admises au cours d’écriture organisé par un écrivain célèbre au mois d’août.

Mais Esther qui n’a jamais quitté  sa Pennsylvanie natale se trouve prise dans un tourbillon de sorties de soirées dansantes décevantes avec sa copine Dorreen et des types de rencontre bêtes et méchants… cela convient à sa nature exubérante mais pas à son esprit critique. Le magazine en question ne donne pas dans la littérature et elle se sent aussi dépaysée intellectuellement.

D’entrée de jeu, la narratrice éprouve un malaise encore plus sérieux ; le roman s’ouvre sur l’exécution des Rosenberg ( nous sommes à la fin du printemps 1953) qui terrifie Esther. Elle ne sait pas grand-chose de ce couple maudit, c’est l’idée de l’électrocution qui la torture…

Puis elle se sent vide comme aspirée par la fameuse cloche de verre qui la menace et revient comme un leitmotiv tout le long du texte.

E n même temps qu’elle évoque de façon très imagée, vive, cocasse, humoristique, les événements de ce mois new-yorkais,  elle revient à son jeune passé ( disparition du père ; déception sentimentale avec un étudiant en médecine particulièrement buté ; conflits avec sa mère ;

et cette curieuse expérience en montagne où, débutante,  elle s’est précipitée sur une piste de ski dangereuse, sachant qu’elle allait tomber et éprouvant une sensation enivrante…)

 

«  The thought that I might kill myself  formed in my mind coolly as a tree or a flower.

… people and tress receded on either hand like the dark sides of a tunnel as I hurtled on to the still, bright point at the end of it, the pebble at the bottom of the well, the white sweet baby cradled in its mother’s bell"

 

De retour chez sa mère, Esther apprend qu’elle n’a pas été retenue pour le cours d’écriture du mois d’août. Elle sombre dans la dépression, fait une tentative de suicide sérieuse, se trouve ballotée d’hôpitaux psychiatriques en cliniques où les traitements qu’on lui inflige sont les pires qui soient. Elle ne semble même pas avoir bénéficié d’une psychothérapie, ou alors c’était tellement succinct que cela ne lui a pas laissé de souvenirs…

Ce récit est tout ensemble terrible et comique au second degré : les portraits des personnages et situations comportent une bonne part  de dérision et d’ironie. La plupart des personnages, femmes, hommes, jeunes, vieux, professeurs, psychiatres, femmes au foyer, compagnes de classe, voisines de chambre, boy-friends,  sont ridicules ( descriptions de vêtements bizarres, de posture, de gestes, de répliques sottes) ou affligeants de bêtise. Pas épargnée non plus,  cette auteure, Philoména Guinéa, qui lui est venue en aide, en la transférant dans une clinique moins dure que la précédente :

C’est le monde où a vécu l’auteur,  et elle n’idéalise pas. Nul ne résiste à sa plume, qui l’air de rien, est bien féroce. Souvent aussi, elle engendre de belles métaphores.

 

Un très bon récit…  

 

 

Lu aussi par Titine et Lilly

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12 janvier 2009 1 12 /01 /janvier /2009 22:23


Gallimard 2008.242 pages 


Le dernier roman d'Annie Ernaux  appartient comme tous les autres au genre de l'autobiographie qu'elle explore depuis ses débuts dans la littérature. Cet opus est davantage centré sur la mémoire et le temps. Comment garder une trace de son vécu  intime et collectif, comment le transmettre, comment «  sauver quelque chose du temps où l'on ne sera plus jamais »

De fait, le prologue de ce récit est une sorte de mise en scène des derniers moments d'une personne ces derniers instants où l'on dit que l'on revoit toute sa vie en très peu de temps...

Dans l'esprit de la narratrice défilent  saynètes, anecdotes, sentences, bouts de phrase, de chansons,   souvenirs à caractère visuels,  qui l'ont touchée personnellement, et appartiennent aussi à l'imaginaire collectif.

«  Tout s'effacera en une seconde. Le dictionnaire accumulé du berceau au dernier lit s'éliminera. Ce sera le silence et aucun mot pour le dire... la langue continuera à mettre en mots le monde. Dans les conversations autour d'une table de fête , on ne sera qu'un prénom de plus en plus sans visage, jusqu'à disparaître dans la masse anonyme d'une lointaine génération. »



La narratrice a prélevé une douzaine de photographies que lesquelles elle figure, de quelques mois à 60 ans et des poussières, les décrit avec une sèche précision de manière à pouvoir  se situer à chaque cliché dans son époque, sa famille, son  milieu social, tout en élargissant le propos à des considérations sur l'état du monde et des mentalités, les faits politiques, à ce  moment qu'elle vécut avec tant d'autres. Ces souvenirs ne prétendent ni à l'objectivité totale ni à l'exhaustivité. De photo en photo nous progressons de la 2emme guerre mondiale à presque nos jours. Les faits évoqués, comme dans le prologue sont connus de tous, de sorte que le lecteur participe aisément même s'il est nettement plus jeune.  

L'auteur se met en scène à la troisième personne, et ne s'étale pas complaisamment, tout en revisaitant son histoire personnelle avec simplicité et franchise. Lorsqu'elle évoque l'état du monde, elle utilise les pronoms «  nous «  et « on », ainsi que des groupes «  les filles » « ceux qui... » Les gens » « les parents... ».

A la fin de cette longue évocation, elle parle du récit qu'elle va écrire celui-là même que nous venons de lire «  ce sera un récit glissant, dans un imparfait continu, absolu, dévorant le présent au fur et à mesure jusqu'à la dernière image d'une vie. Une coulée suspendue, cependant, à intervalles réguliers par des photos et des séquences de films qui saisiront les formes corporelles et les positions sociales successives de son être_ constituant des arrêts sur mémoire e n même temps que des rapports sur l'évolution de son existence... »


 Et c'est assez réussi même si l'on peine dans le premier tiers parce que peut-être on lit des choses que l'on a souvent entendues quelque soit l'habileté de l'agencement de l'auteur.

Mais il y a de vrais bonheurs d'expression : 

«  A faire l'amour avec le même homme, les femmes avaient l'impression de redevenir vierges ».

J'ai apprécié qu'Annie Ernaux montre ici une grande compréhension des problèmes que soulève la vie conjugale,  le sentiment amoureux, et  le désir sexuel. Elle formule bien les limites du mariage,  mais aussi ce que l'amour sexuel contient de soumission, et  à quel point on peut y être attaché.

 

De même, elle stigmatise les modes et les engouements de certaines époques :

«  La généalogie s'emparait des gens. Ils allaient dans les mairies de leur région natale collectionnaient les actes de naissance et de décès fascinés et déçus devant des archives muettes où n'apparaissaient que des noms des dates, et des professions. »

 

Elle promène sur la politique un regard déabusé

«  Jaruzelski en lunettes noires de mafioso reçu à l' Elysée ».

Rafarin qui a l'air d'un rond-de cuir du dixneuvième siècle

" au fond on préférait ne rien attendre avec la gauche au pouvoit plutôt que de s'énerver avec la droite"

 

Elle constate les ravages du temps :

«  A mesure qu'on vieillissait on n'avait plus d'âge »

 

Elle  décrit admirablement  la déréalisation dans laquelle nous plongent les effets de la consommation à outrance :

«  les espaces marchands s'élargissaient et se multipliaient jusque dans les campagnes en rectangles de béton hérissés de panonceaux lisibles depuis l'autoroute. Des lieux de consommation dure où l'acte d'acheter s'effectuait dans un dépouillement aride, blocs de construction à la soviétique contenant chacun, en quantité monstrueuse, la totalité des objets disponibles d'une même gamme, chaussure, vêtements bricolage, et un Mac Do en récompense pour les enfants »

mais à d'autres moments, elle parle aussi du plaisir que l'on peut y prendre...

 

Il est aussi question de la confusion engendrée par les nouveautés technologiques  :

«  cette étrange présence des êtres absents, tellement forte qu'elle suscitait un sentiment de faute lorsqu'on ne décrochait pas le combiné et qu'on laissait parler le répondeur »


Annie Ernaux n'est pas mauvaise en chroniqueuse de son époque. Elle dit souvent vrai sans se servir de formules percutantes, sans brillance ni emphase mais avec intelligence. Elle ne sombre jamais dans le moralisme. A la lire, vous ne vous sentirez coupables de rien, ni de fumer , ni de boire, ni d'être mauvaise mère, ni d'aimer la solitude, ni de vos désirs sexuels, vous n'aurez pas envie de devenir végétarien, ni abstinent, pas plus que jousisseur... et ce n'est pas si courant dans un ouvrage comme celui-ci où vous êtes à la lisière de la fiction et de la réalité.



Je vais vous mettre un bon lien, celui de Sylvie, dont le billet est très détaillé, et qui vous donne beaucoup d'autre liens intéressants sur Annie Ernaux.

L' avis de Dasola tout aussi positif
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15 janvier 2007 1 15 /01 /janvier /2007 10:28

La chair est triste...

C'est la première fois que je lis un ouvrage en entier dans la catégorie " érotisme". Catherine Millet écrit bien, et son roman autobiographique pose un certain   nombre de questions intéressantes.

J'ai choisi de croire que Catherine disait la vérité.

Ce récit est divisé en 4 chapitres dont le premier «  le Nombre «  semble vouloir dire que Catherine se range dans la catégorie des Dom Juan féminins. Ce qui compte c'est d'en avoir toujours un de plus (ou un de moins) à conquérir.

Remontant à son enfance, elle se souvient s'être demandée si une femme pouvait avoir plusieurs maris en même temps ou seulement l'un après l'autre. Vers l'adolescence elle devient très catholique et veut « épouser Dieu «  et partir comme missionnaire.

«  Dieu était la voix tonnante qui rappelait les hommes à l'ordre ».

Catherine comprends que la religion ne va pas la satisfaire, et perd sa virginité à 18 ans (fin des années soixante). Elle cesse de croire juste après ses premières relations sexuelles. Mais ensuite elle va très vite apprécier les partouzes :

« Je suis entrée dans la vie sexuelle adulte comme, petite fille, je m'engouffrais dans le tunnel du train fantôme, à l'aveugle, pour le plaisir d'être ballottée et saisie au hasard. Ou encore « absorbée comme une grenouille par un serpent ». La sexualité garde un lien avec les plaisirs enfantins et s'en coupent en même temps dans une délicieuse contradiction.

 

Si elle se déshabille vite, c'est qu'elle ne se sent pas trop à l'aise dans l'échange verbal et préfère les propos qu'on s'échange en baisant. « Craintive des relations sociales j'avais fait de l'acte sexuel un refuge : esquiver les regards et les échanges verbaux pour lesquels je manquais de pratique ». Dans l'acte sexuel au contraire elle peut parler : un récit à deux voix en contrepoint de l'échange corporel, l'impression de communiquer.

 

La Sous-mission

 «  Tu ne disais jamais non ne refusais rien. Tu ne faisais pas  de manières. Tu ne jouais ni à la femme qui veut faire plaisir à son mec ni à la grande salope. Ni réticente, ni vicelarde. Tranquillité et maniabilité. » Catherine a été fière que certains de ses amants lui fassent ce type de compliments.

 C'est contraire au schéma classique que nous apprenaient parfois nos aînées nées avant guerre, si elles consentaient à avoir des échanges verbaux avec nous, à savoir que la femme pour se faire respecter devait résister et se faire difficilement conquérir en y mettant de vrais obstacles.

 Contraire aussi à l'idée répandue qu'il faut jouer un rôle pour plaire. Contraire même aux idées issues de mai 68 selon lesquelles il fallait jouir de sa liberté sexuelle, et «  ne pas se refouler ». Non : Catherine est soumise. Rien de plus.

 

 L'Objet : la grande découverte de Catherine, au rayon du plaisir sexuel, c'est le « dé hermétique »: l'extrémité est une tête de poupée le front marqué d'une étoile et dont les cheveux forment un cran qui correspond au bourrelet du gland. Cette tête décrit des cercles plus ou moins larges tandis qu'une sorte de petit sanglier qui se détache à la moitié du cylindre fait vibrer plus ou moins vite sa langue très longue destinée à solliciter le clitoris ». Grâce à cet appareil elle réussit à avoir un fort orgasme « déclenché sans se raconter d'histoire ».

 Jusque là nous croyions que Catherine faisait l'amour parce qu'elle y trouvait son compte sur le plan sexuel. On se trompait ou l'on avait mal lu. Elle aime le corps des hommes, elle s'excite facilement, mais la conclusion orgasmique, si atteinte, ne l'est que par la branlette.

 

L'Espace.

 Catherine parle de l'espace comme métaphore des parties génitales féminines, espaces clos, ouverts, lieux rêvés, choisis pour accueillir le désir. «  Qui n'a pas rêvé de polluer avec des parties de jambes en l'air les lieux les pus ordinairement innocents  qu'il fréquente... »

Les lieux extérieurs l'inspirent : un hall d'immeuble, où deux quidams la prendraient en sandwich, un mur à claire-voie entre le parking de la porte de Saint-Cloud et le Périphérique, de nuit, éclairées par des phares, sur le fond de lait caillé d'une montagne escarpée, le corps en équerre.

 «  Je n'ai guère investi les bureaux en dehors des horaires de travail » nous dit Catherine, voulant par là signifier son dégoût de la vulgarité : elle n'est pas cette nana écervelée qui se  fait mettre dans un bureau par son collègue : précisément, ces petits interdits mesquins ne jouent aucun rôle dans son parcours ; son geste requiert une esthétique lié à une éthique. C'est là que se noue le lien qui lie son travail à son activité professionnelle. Catherine répond là à cette question de l'influence des interdits sur le désir et l'excitation sexuelle : cela lui parait trivial, elle ne s'y laisse pas prendre. L'acte sexuel tel qu'elle le conçoit, c'est de la beauté à l'état pur.

 

 L'Ennui : dans un dernier chapitre « Détails » Catherine renchérit sur le fait qu'elle n'a pas recherché la satisfaction des sens et ajoute qu'elle ne savait même pas jusqu'à au moins trente-cinq ans que c'était en principe le but recherché. «  J'ai parlé de l'ennui qui me prenait pendant les réunions entre amis et de l'échappatoire que je trouvais en m'éclipsant avec l'un d'eux pour baiser. Mais il arrive qu'on s'ennuie en baisant. Toutefois je supporte mieux cet ennui là ».

 Pendant tous ces échanges sexuels ou non elle trompe son ennui en s'inventant des histoires ; il arrive qu'on la mène dans des appartements dont la décoration l'intéresse. « Le cours de ma pensée est si détaché des contingences qu'il ne se laisse pas entraver par un corps, celui-ci serait-il retenu dans les bras d'un autre corps ». Mieux, la pensée est d'autant plus libre que l'éventuel interlocuteur s'occupe avec le corps.

Mais alors, à quoi bon avoir autant de partenaires, si c'est aussi peu gratifiant ?

 

 

 

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30 novembre 2006 4 30 /11 /novembre /2006 18:43

Il y a trente ans,  presque  jour pour jour, que mourait Fritz Zorn, auteur zurichois d’un unique ouvrage autobiographique, «  Mars ». Né le 10 avril 1944, il n’avait que trente-deux ans à son décès.

 

«  Zorn » est un pseudonyme  pour « mépris » ; Mars évoque aussi des sentiments de  violence.   Le vrai nom de Zorn est  Fritz Angst, et ce mot de Angst c’est l’angoisse. Une angoisse, qui, mêlée  au courroux, à la rage qu’éprouve l’auteur, court à travers le récit.

 

«  Je suis jeune, riche et cultivé  et je suis malheureux névrosé et seul…  toute ma vie j’ai été sage… naturellement j’ai aussi le cancer, ce qui va de soi…» l’incipit a été souvent cité. Des phrases provocantes et ingénues à la fois, mêlant la dérision et la révolte.

 

L’auteur prévient qu'il ne relate pas son  autobiographie, mais l’ »histoire d’une névrose ou du moins  de certains de ses aspects. »

 

Cependant, décrivant son état et les origines supposées de celui-ci,comme  il n’est pas clinicien, il se retrouve  autobiographe.

D’emblée il annonce que la maladie dont il souffre, un cancer, est l’expression somatique de sa névrose. Il veut s’approprier ce cancer comme son symptôme, l’objet qu’il peut aimer et comprendre.

D’où cette formule que la tumeur est une métaphore de ses « larmes  non versées». Mais à propos de quelle perte particulière, les a-t’il  retenues, nous  ne le savons pas.  

  

En tant que malade il veut coexister le moins mal possible avec son affection, lui donner un sens, et peut-être en donner un à sa mort, qu’à juste titre il suppose proche. Beaucoup d’affections sont suspectées d'avoir des causes psychosomatiques, mais il est impossible de le  prouver scientifiquement. Il serait irrationnel de penser qu'un  cancer se développe  par le seul fait de l’existence d’une névrose. Mais, dans le cas présent, aucune cause biologique n'a pu être trouvée...

 

Pour en savoir plus, on eût dû laisser la parole au psychothérapeute de Mars, mais celui-là n’a rien su faire de mieux que de lui administrer l’extrême-onction, à sa manière profane, en lui certifiant que son livre serait publié après sa mort.

 

Révolte, colère, mépris : mais cette révolte fut d’abord rentrée comme en témoigne le 1er chapitre «  Mars en exil ».

 

Mars évoque son enfance et sa jeunesse à Zürich : il est révolté contre sa famille qui l’a «  éduqué à mort ».

Il épingle les formules langagières que ses parents utilisaient lorsqu’ils ne voulaient pas approfondir un sujet. Cependant, il ne dit rien de précis permettant de se faire une idée de ses parents, camarades ou professeurs, et les filles «  avec lesquelles les relations n’ont pas marché ». On apprend seulement que son petit frère avait acheté un «  mauvais disque «  le Tango criminel » alors que lui, Mars, n’a jamais osé écouter de mauvais disques , persuadé que la musique classique vantée par les adultes était le bon choix.

Maintenant il regrette le Tango Criminel,( j'adore ce titre...) et c’est trop tard.

Trop tard pour vivre.

Mars a fait un doctorat en langues romanes, est devenu professeur d’espagnol, retrouvant timidement la langue du Tango Criminel.

 

A part cette métaphore que je trouve belle, il ne met rien en situation, ne relate aucune scène, peut-être parce qu’il craint d’être reconnu.

Il témoigne toutefois avoir toujours été absent à ce qu’il faisait, absent à soi-même. On le ressent dans on écriture, non pas «  blanche » mais sans couleur.

Cette écriture mélange naïveté et ironie, avec de nombreuses répétitions de phrases aux variations minimes, fourmille de paradoxes parfois un peu faciles :

« Pourquoi aurais-je voulu me suicider, la vie c’est donc différent de la mort ? »

 

En effet, à la vue d’une tumeur qui grossissait rapidement, il n’a pas voulu consulter, attitude suicidaire.

 

S’il avait vécu, , il aurait pu cultiver son goût pour l’aphorisme et écrire des maximes. «  J’ai été éduqué à mort » est une formule qui laisse à penser.

 
 
 
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26 novembre 2006 7 26 /11 /novembre /2006 10:56

Fabienne Swiatly «  Gagner sa vie » La Fosse aux ours, 2006.


   En treize chapitres l'auteur nous raconte son parcours professionnel qu'elle  fait débuter par ce lui de son père, ouvrier électricien à Arméville (Moselle). Une vie laborieuse en usine, un homme à qui l'on  n'a pas fait de cadeau. Non plus qu'à sa fille.


Fabienne ne se plait pas au lycée de Metz. On l'a mise contre son gré en terminale G3, alors qu'elle  aspirait à une section littéraire.  En 1978, avant le bac, elle fugue avec son amie Corinne pour une existence d'abord nomade vivotant de petits boulots.  Elle  remplit  des barquettes de dattes à Marseille, sert dans restaurant à Etretat, comptable d'un jour dans un lycée professionnel à Barentin ( seine maritime) trie des négatifs et encaisse des chèques dans un labo photo à Paris. D'un écriture sobre et précise, elle dit la frustration de ces tâches répétitives, la mesquinerie de la patronne du restaurant qui lui vole son pourboire sous ses yeux, l'indifférence de la secrétaire en chef du lycée pro qui  lui confie une machine sans lui expliquer correctement la manipulation, toutes sortes   d'exploitations et parfois avilissements  dont elle est l'objet  par des supérieurs hiérarchiques, parfois aussi par des collègues  que leur situation précaire ne rend pas généreuses.


A partir de 1981, elle réussit à travailler pour le compte d'une de ces radios libres, au début non commerciales, autorisées par le nouveau ministère de la culture. Enfin un travail intéressant  quoique peu payé. Devenue attachée de presse dans une entreprise de communication en  architecture et urbanisme, puis rédactrice d'un journal d'entreprise, des responsabilités vraies lui incombent  basées sur un travail d'écriture. Après avoir œuvré pour l'association de défense des droits du détenu à Lyon, elle animera divers ateliers d'écriture, dans un hôpital public à Laval, au centre psychopédagogique de Lyon et finalement, forte de toutes ces expériences,  un atelier d'écriture  littéraire et professionnel à son compte.


 Outre son expérience  d'animatrice de  radio libre, elle exercera plus d'une fois des  emplois   qui sont souvent  occupés par des  bénévoles, pour un salaire plus que maigre ; mais elle  réussit à en vivre et parfois se le verra reprocher !

On ne répétera jamais assez  que la fonction d'animateur socioculturel n'est pas de la charité mais  du travail professionnel qui doit être correctement rémunéré.


En conclusion,  c'est un   documentaire lucide et émouvant  sur le monde du travail, qui va à l'essentiel   et  ne s'embarrasse ni de fioriture ni d'afféterie comme on peut le déplorer  dans certains textes  qui décrivent l'homme au travail, l'homme exploité, privé d'emploi, en utilisant un style, baroque et  recherché,  qui nuit  au rendu de l'expérience. Je pense en particulier à « Petites natures mortes au travail »d'Yves Pagès. On ne relève  pas non plus ce défaut  du  roman fleuve  populaire  dont les  intrigues   sentimentales finissent par lasser ( je pense à «  Les vivants et les morts » de G. Mordillat).   Et  l'expérience personnelle ici  ne tourne pas  à l'autobiographie un peu  désordonnée comme dans«  Mathieu disparaît » de Patrice Robin (POL, 2003) qui pose également le problème du jeune promis à un emploi peu gratifiant et qui veut choisir son métier et sa vie.

      

 Dans  «  Gagner sa vie »,  on trouvera  des phrases miraculeuses  comme celle-ci :

« Et je me dis que le partage de l'écriture est une singulière aventure, comme un voyage que l'on entreprend sans savoir où il nous mènera. Le plaisir du chemin qui se fait. Pas d'autre ambition que ce chemin parcouru ensemble. Le voyage n'est pas toujours une question de destination ».


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13 mai 2006 6 13 /05 /mai /2006 15:12

l'Enfant éternel

 

 

 

 

LP, 1997.

1er publication Gallimar ( L’Infini) Prix Femina.397 pages.

 

Cette histoire pourrait figurer dans le livre de Ginette Raimbault «  Lorsque l’enfant disparaît » où elle évoque  les cas de plusieurs familles , personnes célèbres ou non, ayant perdu au moins un enfant, et écrit ensuite à propos de cette perte.

D’ailleurs Philipe Forest écrit lui-même à propos de Victor Hugo et Mallarmé et de leurs deuils respectifs, façon de se mettre sur les rangs des écrivains endeuillés de cette façon particulière, si douloureuse. Le titre de son récit est tiré du « Tombeau d’Anatole » de Mallarmé, essayant lui aussi d'ancrer la disparition de son petit garçon dans la littérature, dans un espace fictif où l'enfant trouve une place.

 

Cette éternité de l’enfant qui meurt , c’est le temps qui s’étire pour vivre les derniers moments.

Il n’y a pas, dans ce récit, d’enfant mort, la mort ne se conçoit pas, et celle d’un enfant non plus-du moins s‘il a vécu un certain temps…même in utéro, dans certains cas.

Pauline a vécu quatre ans et a succombé à un ostéosarcome. Le narrateur de cette histoire est le père de l’enfant, non nommé, auteur du livre.

La tragédie vécue par Pauline et ses parents est narrée de façon à peu près chronologique depuis l’avant-tragédie ( Une semaine à la neige) jusqu’à la fin de Pauline un an plus tard, avec l’épilogue ou la conclusion du père( j’ai fait de ma fille un être de papier)

L’auteur tente de se définir comme écrivain ( entre les chapitres on lit des moments de réflexion) écrivain mais pas romancier, tant l’histoire de Pauline et la manière dont elle est relatée , réaliste, documentaire, suscitant la réflexion, paraît éloignée d’une œuvre de fiction même autobiographique.

Pourtant l’auteur emploie le mot « roman ». « Un roman est une entaille dans le bois du temps ». C'est dans la fiction, que l'enfant vit encore.

Les chapitres 3 à 6 de cette troisième partie «  Dans le bois du temps » sont largement consacrés à des considérations sur l’écriture et le roman : «  De façon essentielle, un livre ne devrait exister que s’il se fait malgré son auteur , en dépit de lui, l’obligeant à toucher le point même de sa vie, où son être, irrémédiablement se défait ». C’est assez juste.

On est également intéressées par les pages dans lesquelles l’auteur se demande pourquoi des romanciers ( ou romancières) n’ont pas voulu avoir d’enfants. Balzac dit «  on fait des enfants ou des livres pas les deux". Pourquoi le refus de l’enfant de chair, lorsque l’on choisit des êtres de papier ?

 

Dans l’ensemble, ce roman donne l’impression d’une rédaction fort soignée, (on sent que c’est le prof qui écrit)  et d’une famille exemplaire : la petite fille est héroïque devant ses souffrances. Elle montre une adaptation exceptionnelle à l’hôpital et ses cruelles contraintes. Malgré la maladie elle ne ressemble jamais à « une petite fille qui va mourir » , mais exerce son charme jusqu’à la fin sur le personnel soignant les multiples opérations et traitements sont subis sans révolte.

C’est là peut-être tout le mystère des jeunes enfants. Leur monde est très différent du nôtre. Leur perception du temps, de la vie, de la mort, de l’importance de tout cela, est tellement dissemblable   de celle de l’adulte, que l’on est toujours surpris. Reste que la souffrance physique est  tout de même éprouvée…

Le narrateur parle de l’acharnement thérapeutique qu’on leur a reproché de laisser faire : lorsque Pauline est si atteinte que la guérison ne se conçoit plus guère, on la torture encore, certes pas pour la faire souffrir, mais pour reculer la séparation finale, pour pouvoir toujours attendre un miracle.

Pauline pourrait ne pas se prêter à cette torture, mourir avant, ou montrer par son comportement que l’insupportable n’est rien d’autre que l’insupportable. Sans doute se prête-t-elle à la tyrannie des parents désespérés, et des médecines, parce qu’elle ne veut pas leur manquer. L’enfant se soucie moins, semble-t-il ici, d’avoir peur pour soi, que pour les autres, en disparaissant.

Cela nous amène à nous demander « qu’est-ce qui fait que l’on a peur pour soi ? De «  se manquer à soi » ? Cela se peut-il ? Il faudrait parler de l’angoisse de castration qui, en psychanalyse, est corrélative de l’angoisse de mort, et de la plus ou moins grande sévérité du surmoi.

Ces symptômes se développent à l’âge de trois ans, environ. C’est à ce moment-là que Pauline est tombée malade. Elle est encore exempte de ces symptômes. Jusqu’ici son existence s’était déroulée sans nuages. 

La conduite d’Alice, sa mère, se révèle aussi impressionnante. Jamais le moindre manquement, ni défaillance, pas de pleurs, ni devant l’enfant, ni devant le malheur, jamais de découragement apparent, une assistance et une complicité toujours parfaite envers la fillette.

Le narrateur-auteur lui aussi est , au moins «  Quelqu’un de bien ». Ceci d’ailleurs va à l’encontre de ses réflexions sur le roman. Si celui-ci s’écrit contre et malgré son auteur , il ne donnerait pas au lecteur une image sans faille du monde qui est le sien. Ici nous avons l’impression que tout le monde est irréprochable.

C’est normal, il doit préserver son épouse, lui-même, Pauline dont il y a ici un panégyrique, voire une hagiographie, avec le récit du malheur d’une famille, et comment pourrait-il en être autrement ?

Lorsque l’on lit un récit sur des êtres confrontés à des maladies graves, mortelles, et à leur entourage, on a toujours des récits héroïques. Je songe aussi aux livres de Marie Depussé. Peut-être la souffrance rend-elle héroïque ?

Il lui arrive aussi de dire «  des choses vraies » : par exemple sur les gens très malades qui s’en sont sortis et déclarent ensuite orgueilleusement que c’est parce qu’ils étaient courageux et /ou avaient envie de vivre. Ainsi nul ne peut dire qu’il se bat contre le réel ( la maladie qui atteint le corps) le réel n’étant pas un adversaire.

Vrai aussi les réunions de parents d’enfants malades «  qui n’ont en fait rien à se dire » ; l’expérience de la maladie ne les réunit pas, elle les sépare, elle les fait vite se tourner le dos ».

L’auteur nous dit être davantage du côté du lyrisme, du pathétique, vouloir donner une vision tragique non masquée de ce qui a été vécu. Lisons-le de cette façon, donc.

 

 

Autres réflexions : l’auteur pense que les rites funéraires sont un homage aux morts. Ils sont tout aussi bien la crainte d’une vengeance qui pousse les vivants à les honorer. Croyons-nous les morts vraiment morts ? Et les vivants tellement vivants ?

Comment percevons-nous les êtres que l’on ne connaît que virtuellement ? Les connaissances « Internet » ? Dont on ne sait pas le nom, que l’on n’a pas vu en vrai ? Que l’on ne peut toucher ? Ce ne sont pas des êtres « de papier », mais des êtres… numériques ? cybernétiques ? éventuels ?  potentiels ?

«  Le vivant devient être de fiction, simulacre que l’on fait vivre, parce qu’il retient en lui la forme hallucinée de ce qui a été ».

 

 

En tout cas, un livre important, qui permet de se poser à nouveau les questions essentielles sur lesquelles toujours nous achoppons.

 

 

 

 

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23 avril 2006 7 23 /04 /avril /2006 17:38

« W ou le Souvenir »

Georges Pérec aurait eu 70 ans le 7 mars 2006 il y a un mois et demi.

2070733165-08--SCLZZZZZZZ-V24303288-AA240-.jpgSon œuvre autobiographique écrite en 1970-74 (Date à la fin du récit) est rééditée chez Gallimard (L’Imaginaire).

 

 

 

Le récit comporte XXXVII chapitres (qui sont écrits en chiffres romains non par hasard et Pérec a 37ans lorsqu’il achève.

Cette partie porte en exergue une citation de Queneau « Cette brume insensée où s’agitent des ombres, comment pourrais-je l’éclaicir ? »

Deux récits s’entrecroisent en contrepoint avec deux narrateurs différents. L’un s’appelle Gaspard Winckler( c’est un nom d’emprunt) l’autre a le même nom que l’auteur. La relation entre les deux récits, incertaine d’abord, va en se précisant et tous deux reprennent les mêmes thèmes l’un sur le mode réaliste l’autre onirique. Au dernier chapitre le narrateur du second récit (Pérec) nous livre le secret de la genèse du premier qu’il appelle son »fantasme ». Il l’avait mentionné aussi dans le récit 1 au début : « Je réinventais W » et l’écrivis à partir de dessins faits à l’âge de 13 ans ». 

 

Cependant le livre démarre sur le 1 en italique, voulant sans doute marquer que le « fantasme » est premier, même reconstruit. 

Récit 1 : le narrateur qui a dû déserter et se cacher en Allemagne sous un faux nom Gaspard Winckler, est retrouvé par un certain Otto Apfelstrahl (Poire d’acier) qui l’informe que le nom qu’on lui a donné est porté par quelqu’un d’autre : le fils sourd-muet d’une cantatrice qui partait avec ce garçon, un docteur et un précepteur pour une croisière devant changer la vie de l’enfant : Jusque là il paraissait autiste.(Ces personnages, les lecteurs de la « Vie mode d’emploi » les reconnaîtront). 

Ils firent naufrage aux alentours de la Terre de Feu et l’on retrouva tous les cadavres à l’exception de celui de Gaspard Winckler. Otto incite Winckler à chercher celui qui porte son nom. 

Ici s’achève la première partie : elle sonne comme un fait divers, du roman d’aventure, et du roman fantastique : mystère, mort violente, enquêtes, étrangeté que Pérec réutilisera dans la Vie mode d’emploi. (Cantatrice, mort violente de la fille,assassinat- et Gaspard Winckler y deviendra un personnage central, le fabriquant de puzzles).

 

Ici, Winckler apprend qu’il est la pièce d’un puzzle qu’il ne connaît pas… 

Partie II : le récit romanesque tourne court : Winckler y décrit minutieusement la vie à W, censée être le fruit de ses recherches vers la Terre de Feu. Il en a reconstitué l’existence quotidienne. 

« Il y aurait là-bas, à l’autre bout du monde, une île. Elle s’appelle W. » 

C’était une nouvelle Olympie. On y dresse des hommes à devnir des athlètes ; du moins le lecteur est-il censé le croire au début.

-Les athlètes sont peu nourris. Juste assez pour fournir le travail.

- on fait du sport et on ne travaille pas.

- on se livre à des jeux inutiles : c’est le « sport » (souvent honteux, démoralisant).

-l’athlète est esclave. Page 218 : « Ils sont pathétiques et rejoignent la figure du déporté ».

 

-Dans les jeux appelés « Atlantiades » les gagnants se partagent les femmes. Cela s’appelle « la grande fête de la conception »(Viol, poursuite, …) 

Au début de la description de l’île W, on pense à la République de Platon.

On pense que les athlètes décrits sont des genres de « gardiens de la Cité » dégénérés. Or les athlètes restent incultes jusqu’à 14 ans, et les femmes parquées.

Gaspard Winckler ne reparle plus de son « homonyme noyé » (Noyé comme le petit garçon que gardait la fille de la cantatrice in « Vie mode d’emploi »). 

Signification du W (Nom de l’île). Il s’agit d’une variante possible d’écriture de la croix gammée.

C’est à partir du X toutefois que Pérec (dans le premier récit) fait sa recherche sur cette lettre, et son incognito. « Deux V accolés par leurs pointes dessinent un X. En prolongeant les branches du X par des segment s égaux et perpendiculaires on obtient une croix gammée, elle-même décomposable par une rotation de 90° d’un des segments en sur son coude inférieur en signe SS ;la superposition de deux V tête-bêche aboutit à une figure XX dont il suffit de réunir horizontalement les branches pour obtenir une étoile juive."
 

En parallèle se déroule le premier récit qui est une autobiographie des premières années de l’auteur « Huit ans, huitième ».

Ces années sont celles d’un garçon devenu rapidement orphelin de père(1940) puis de mère ( déportée en 1944) et vivant au hasard des familles de tantes et de cousins qui l’accueillaient pour un temps. Bien qu’il fut confié nommément à une tante, il en vit défiler beaucoup : dans tout ce fatras, il cherche des points de repère selon une méthode inspirée de la psychanalyse et examine ses souvenirs en analysant à partir de quoi et pour quelle raison il les aurait fabriqués. Cette enquête, sérieuse, précise, et pointilleuse ( comme l’est la description à W).

Citation de W « Il y a deux mondes, celui des maîtres et celui des esclaves. Les maîtres sont inaccessibles et les esclaves s’entredéchirent… mais même cela l’athlète W ne le sait pas. Il préfère croire à son « Etoile »( jeu de mots sinistre mais inévitable).
 

Le texte 1 possède quelques pages en caractères gras qui furent écrites une vingtaine d’années plus tôt et que l’auteur a annotées. Souvent pathétiques. « Il m’arrive de penser que mon père n’était pas un imbécile ».
 

Le récit manque tourner court page 58 : « Je ne sais pas si je n’ai rien à dire, je sais que je ne dis rien ; je ne sais pas si ce sue j’aurais à dire n’est pas dit parce qu’il est l’indicible (l’indicible n’est pas tapi dans l’écriture, il est ce qui l’a déclenché bien avant. Je sais que ce que je dis est blanc, est neutre, est signe une fois pour toutes d’un anéantissement ».
Mais « Je ne retrouverais jamais dans mon ressassement même, que l’ultime reflet d’une parole absente à l’écriture, le scandale de leur silence et de mon silence… » L’écriture est le souvenir de leur mort et l’affirmation de ma vie. »

 Vous voyez que tout Blanchot et même Beckett se trouvent dans Pérec...mais Pérec est bien plus vivant.
L’univers concentrationnaire : l’exposé sur W, la vie de la Cité, gloire du « Corps » etc… est marquée par la répétition suggérée de chaque geste, chaque existence, chaque journée, pareille à celle qui précède : il en est ainsi de tous les récits d’univers concentrationnaires. Celui que décrit Primo Lévi dans « Si c’est un homme » a beau être parfaitement réaliste ( on nous a dit que celui de W est « un fantasme ») on y retrouve la même scansion, la même difficulté à lire, l’histoire où par définition il ne se passe plus rien, sinon la dégradation radicale de l’homme. On y retrouve également tous les sévices les jeux idiots, et humiliants auxquels les détenus doivent se plier.
Pérec a mené le suspense et l’ironie dans « W » commençant par une histoire romanesque et mystérieuse pour ensuite tourner court nous introduire à W en laissant croire durant de nombreuses pages que, pour étrange et un peu vile qu’elle parût, elle tenait debout, pour en révéler l’horreur interne petit à petit avec un envahissement progressif implacable.

Si l'on  doit aller sur l'île déserte emporter Flaubert pour le dix neuvième siècle et Pérec pour le vingtième

 

 

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16 mars 2006 4 16 /03 /mars /2006 14:01

9782070776917.gifCe n’est pas le énième livre sur la survie du corps professoral et des collégiens en ZEP.


C’est un ouvrage important qui restitue sans fioritures mais avec rigueur sobriété humour et émotion le quotidien des profs et des élèves. L’établissement scolaire est situé à Paris dans un quartier défavorisé ; le professeur de français a trente ans nous vivons avec lui une année scolaire d’une classe de troisième dont il est le professeur principal.

Les enseignants sont majoritairement français, les élèves d’ethnies différentes, ont des problèmes de langue, d’exil, d’argent, de famille. Chaque élève porte un sweat shirt, pourvu d’un dessin que l’enseignant reçoit comme un message à déchiffrer, ou un renseignement sur les aspirations des ados. Les rituels quotidiens décrits dans le détail, sont autant de répétitions qui rythment le récit. La scène se passe dans la salle de classe, de permanence, le bureau du CPE, la cour, les escaliers.

Des lieux où tous font le maximum pour apprendre.

Beaucoup de préoccupations s’expriment métaphoriquement à travers le mauvais fonctionnement du distributeur de boisson, de la photocopieuse. On est bouleversé par l’effondrement de certains élèves qui se voient refuser une seconde générale. 

C’est un bon livre. 

A lire aussi : Catherine Henri " Prof sentimental" chez POL. Approche très différente et tout aussi juste.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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2 mars 2006 4 02 /03 /mars /2006 14:18

51DM9Z8MAXL.-AA240-.jpg1-  Christa Wolf Le Corps même. Fayard (Littérature étrangère) trad. 2003.

 

 

 

Atteinte d’une péritonite, la narratrice reste dans un état grave quelques semaines, et rêve qu’elle se promène dans les souterrains, les labyrinthes, et les sous-sols , à différentes époques, notamment la guerre qu’elle a connue enfant, seule, puis accompagnée de son infirmière anesthésiste, Kora. Telle Dante, conduite par Virgile, elle visite à sa manière les cercles de l’enfer. Souvent aussi, elle est consciente, et tente de survivre avec ce lourd handicap de n’être plus qu’un corps inerte. Elle métaphorise sa maladie, se demande pourquoi elle a été si longtemps sourde au mal qui l’abîmait, revit quelques épisodes de sa vie liés au destin du PC de la RDA( L’action date de 1980.)L’un de ses amis Urban qui soutenait une tendance dure est lâché par les autres, et disparaît au moment où elle tombe malade…

 

 

Le texte est complexe : sa manière unique d’utiliser tous les pronoms personnels pour se désigner, sans préférence, interfère avec la façon dont elle désigne son conjoint et les différentes infirmières et médecins, personnages importants de l’histoire. « Tu » c’est elle, son conjoint, ou quelqu’un d’autre à qui elle s’adresse en pensée, et qui peut être présent ou non. Elle joue avec les pronoms, et nous laisse parfois volontairement ignorer à qui ou de qui elle parle. Les dialogues, réels comme imaginaires, sont présentés avec un naturel savamment étudié, souvent sans guillemets, et l’on confond réel et imaginaire comme la malade le fait. Les conversations sur la mort, l’âme, le corps, sont également complexes, parce qu’elle utilise un vocabulaire mixte : philosophie, mythologie, propos qui relèvent de la »sagesse populaire », psychologie… on ne saisit pas d’emblée où cela nous entraîne. Bien entendu toutes ces difficultés sont bienvenues, car elles témoignent de la richesse de cette écriture.

 

 

 

 

 

 

 

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