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23 avril 2006 7 23 /04 /avril /2006 17:38

« W ou le Souvenir »

Georges Pérec aurait eu 70 ans le 7 mars 2006 il y a un mois et demi.

2070733165-08--SCLZZZZZZZ-V24303288-AA240-.jpgSon œuvre autobiographique écrite en 1970-74 (Date à la fin du récit) est rééditée chez Gallimard (L’Imaginaire).

 

 

 

Le récit comporte XXXVII chapitres (qui sont écrits en chiffres romains non par hasard et Pérec a 37ans lorsqu’il achève.

Cette partie porte en exergue une citation de Queneau « Cette brume insensée où s’agitent des ombres, comment pourrais-je l’éclaicir ? »

Deux récits s’entrecroisent en contrepoint avec deux narrateurs différents. L’un s’appelle Gaspard Winckler( c’est un nom d’emprunt) l’autre a le même nom que l’auteur. La relation entre les deux récits, incertaine d’abord, va en se précisant et tous deux reprennent les mêmes thèmes l’un sur le mode réaliste l’autre onirique. Au dernier chapitre le narrateur du second récit (Pérec) nous livre le secret de la genèse du premier qu’il appelle son »fantasme ». Il l’avait mentionné aussi dans le récit 1 au début : « Je réinventais W » et l’écrivis à partir de dessins faits à l’âge de 13 ans ». 

 

Cependant le livre démarre sur le 1 en italique, voulant sans doute marquer que le « fantasme » est premier, même reconstruit. 

Récit 1 : le narrateur qui a dû déserter et se cacher en Allemagne sous un faux nom Gaspard Winckler, est retrouvé par un certain Otto Apfelstrahl (Poire d’acier) qui l’informe que le nom qu’on lui a donné est porté par quelqu’un d’autre : le fils sourd-muet d’une cantatrice qui partait avec ce garçon, un docteur et un précepteur pour une croisière devant changer la vie de l’enfant : Jusque là il paraissait autiste.(Ces personnages, les lecteurs de la « Vie mode d’emploi » les reconnaîtront). 

Ils firent naufrage aux alentours de la Terre de Feu et l’on retrouva tous les cadavres à l’exception de celui de Gaspard Winckler. Otto incite Winckler à chercher celui qui porte son nom. 

Ici s’achève la première partie : elle sonne comme un fait divers, du roman d’aventure, et du roman fantastique : mystère, mort violente, enquêtes, étrangeté que Pérec réutilisera dans la Vie mode d’emploi. (Cantatrice, mort violente de la fille,assassinat- et Gaspard Winckler y deviendra un personnage central, le fabriquant de puzzles).

 

Ici, Winckler apprend qu’il est la pièce d’un puzzle qu’il ne connaît pas… 

Partie II : le récit romanesque tourne court : Winckler y décrit minutieusement la vie à W, censée être le fruit de ses recherches vers la Terre de Feu. Il en a reconstitué l’existence quotidienne. 

« Il y aurait là-bas, à l’autre bout du monde, une île. Elle s’appelle W. » 

C’était une nouvelle Olympie. On y dresse des hommes à devnir des athlètes ; du moins le lecteur est-il censé le croire au début.

-Les athlètes sont peu nourris. Juste assez pour fournir le travail.

- on fait du sport et on ne travaille pas.

- on se livre à des jeux inutiles : c’est le « sport » (souvent honteux, démoralisant).

-l’athlète est esclave. Page 218 : « Ils sont pathétiques et rejoignent la figure du déporté ».

 

-Dans les jeux appelés « Atlantiades » les gagnants se partagent les femmes. Cela s’appelle « la grande fête de la conception »(Viol, poursuite, …) 

Au début de la description de l’île W, on pense à la République de Platon.

On pense que les athlètes décrits sont des genres de « gardiens de la Cité » dégénérés. Or les athlètes restent incultes jusqu’à 14 ans, et les femmes parquées.

Gaspard Winckler ne reparle plus de son « homonyme noyé » (Noyé comme le petit garçon que gardait la fille de la cantatrice in « Vie mode d’emploi »). 

Signification du W (Nom de l’île). Il s’agit d’une variante possible d’écriture de la croix gammée.

C’est à partir du X toutefois que Pérec (dans le premier récit) fait sa recherche sur cette lettre, et son incognito. « Deux V accolés par leurs pointes dessinent un X. En prolongeant les branches du X par des segment s égaux et perpendiculaires on obtient une croix gammée, elle-même décomposable par une rotation de 90° d’un des segments en sur son coude inférieur en signe SS ;la superposition de deux V tête-bêche aboutit à une figure XX dont il suffit de réunir horizontalement les branches pour obtenir une étoile juive."
 

En parallèle se déroule le premier récit qui est une autobiographie des premières années de l’auteur « Huit ans, huitième ».

Ces années sont celles d’un garçon devenu rapidement orphelin de père(1940) puis de mère ( déportée en 1944) et vivant au hasard des familles de tantes et de cousins qui l’accueillaient pour un temps. Bien qu’il fut confié nommément à une tante, il en vit défiler beaucoup : dans tout ce fatras, il cherche des points de repère selon une méthode inspirée de la psychanalyse et examine ses souvenirs en analysant à partir de quoi et pour quelle raison il les aurait fabriqués. Cette enquête, sérieuse, précise, et pointilleuse ( comme l’est la description à W).

Citation de W « Il y a deux mondes, celui des maîtres et celui des esclaves. Les maîtres sont inaccessibles et les esclaves s’entredéchirent… mais même cela l’athlète W ne le sait pas. Il préfère croire à son « Etoile »( jeu de mots sinistre mais inévitable).
 

Le texte 1 possède quelques pages en caractères gras qui furent écrites une vingtaine d’années plus tôt et que l’auteur a annotées. Souvent pathétiques. « Il m’arrive de penser que mon père n’était pas un imbécile ».
 

Le récit manque tourner court page 58 : « Je ne sais pas si je n’ai rien à dire, je sais que je ne dis rien ; je ne sais pas si ce sue j’aurais à dire n’est pas dit parce qu’il est l’indicible (l’indicible n’est pas tapi dans l’écriture, il est ce qui l’a déclenché bien avant. Je sais que ce que je dis est blanc, est neutre, est signe une fois pour toutes d’un anéantissement ».
Mais « Je ne retrouverais jamais dans mon ressassement même, que l’ultime reflet d’une parole absente à l’écriture, le scandale de leur silence et de mon silence… » L’écriture est le souvenir de leur mort et l’affirmation de ma vie. »

 Vous voyez que tout Blanchot et même Beckett se trouvent dans Pérec...mais Pérec est bien plus vivant.
L’univers concentrationnaire : l’exposé sur W, la vie de la Cité, gloire du « Corps » etc… est marquée par la répétition suggérée de chaque geste, chaque existence, chaque journée, pareille à celle qui précède : il en est ainsi de tous les récits d’univers concentrationnaires. Celui que décrit Primo Lévi dans « Si c’est un homme » a beau être parfaitement réaliste ( on nous a dit que celui de W est « un fantasme ») on y retrouve la même scansion, la même difficulté à lire, l’histoire où par définition il ne se passe plus rien, sinon la dégradation radicale de l’homme. On y retrouve également tous les sévices les jeux idiots, et humiliants auxquels les détenus doivent se plier.
Pérec a mené le suspense et l’ironie dans « W » commençant par une histoire romanesque et mystérieuse pour ensuite tourner court nous introduire à W en laissant croire durant de nombreuses pages que, pour étrange et un peu vile qu’elle parût, elle tenait debout, pour en révéler l’horreur interne petit à petit avec un envahissement progressif implacable.

Si l'on  doit aller sur l'île déserte emporter Flaubert pour le dix neuvième siècle et Pérec pour le vingtième

 

 

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